Oscar Rabine ( 1928-2018) est un des leaders de l’art non-conformiste russe et une figure importante de l’art de la deuxième moitié du vingtième siècle. Son héritage artistique compte plus de trois mille d’œuvres : des peintures, des dessins, des gravures. Les œuvres d’Oscar Rabine se trouvent dans des collections publiques et privées majeures, tels que Centre Pompidou (Paris, France), Musée Maillol (Paris, France), Musée Russe (Saint-Pétersbourg, Russie), Galerie Trétiakov (Moscou, Russie), Zimmerli Art Museum à l’Université Rutgers, (Nouveau-Brunswick, États-Unis). Son parcours artistique fut tortueux et riche en événements clés qui ont façonné sa biographie.
Son nom est lié à l’art non-officiel soviétique. Dans les années 50-60, Oscar Rabine était membre d’un groupe d’artistes et de poètes non- conformistes qui se rassemblaient à Lianozovo, une banlieue de Moscou, où l’artiste vivait à cette époque-là. Les membres du « cercle Lianozovo » cherchaient à exercer un art indépendant et libre, non-obéissant aux dogmes soviétiques. Le désir d’exposer en public et de sortir de la clandestinité a poussé Oscar Rabine à devenir un des organisateurs, en 1974, de la fameuse exposition « Bulldozer » et de celle du parc Izmailovsky. Ces expositions ont marqué une étape importante dans l’histoire de la culture non-officielle de l’époque soviétique : ce fut la sortie des non-conformistes de l’underground, le début du chemin vers l’art libre. L’exposition Bulldozer s’est devenue, en réalité, la première performance improvisée de l’époque soviétique. Au cours de cette exposition en plein air le gouvernement soviétique a envoyé des bulldozers sur le terrain vague à Beliaevo pour empêcher cet évènement. A côté d’autres artistes, Oscar Rabine a défendu (littéralement de son corps), le droit d’exposer ses œuvres ouvertement, lorsqu’il s’est jeté au-devant des bulldozers.
Ce célèbre événement s'est avéré être une véritable chasse des autorités soviétiques aux artistes alternatifs : plusieurs tableaux ont été détruits et plusieurs artistes, arrêtés. Par contre, l’exposition suivante, celle de l’exposition d’art indépendant au parc d’Izmailovo a été toute de même autorisée par le gouvernement. Néanmoins, le fait que Oscar Rabine était un des leadeurs et organisateurs des manifestations d’art indépendant interdit en URSS a provoqué son immigration forcée en 1978, en France. La déchéance de nationalité russe qui a suivi son départ a été le point final d’une vie, celle au Pays des Soviets, et le début d’une nouvelle vie, en France.
Depuis 1978 et jusqu’à la fin de sa vie Oscar Rabine a vécu à Paris, où il a obtenu la nationalité française. Oscar Rabine a réussi de créer son style personnel de la peinture. Pas de sujets anti- soviétiques qui était une tendance à cette époque-là. Ce qui l’intéressait, c’était l’élaboration de son propre langage artistique, la possibilité d’une expression autre que le style du réalisme socialiste imposé. Mais l’artiste ne voulait pas non plus suivre le « mainstream » artistique de son époque, tel que l’art conceptuel.
La vie d'Oscar Rabine, riche en émotions et en évènements marquants, n’a pas seulement particularisé le style de son art, mais a constitué elle-même une pratique artistique. Ses tableaux sont des surfaces qui auraient absorbé sa vie même. Vivre l'instant, le ressentir profondément et ensuite remplir la toile de ces émotions vecues – c’était un crédo artisitique d'Oskar Rabin. La matière de ses tableaux ressemble à celle de la vie : une succession de «couches» composées des épisodes multiples. Les œuvres d’Oscar Rabine sont des résultats d'un processus long et rigoureux. L’artiste disait qu’il remplissait la toile de peinture. Oscar Rabine a créé une iconographie particulière et unique. Des objets et des images qui l’accompagnaient au cours de sa vie ou qui constituaient sa mémoire : une baraque à Lianozovo, une bouteille de vodka, un poisson séché, des pages d’un journal… Les échelles différentes qui coexistent sur la même toile procurent quelque chose de surréaliste, mais, à la différence du surréalisme, il ne s’agit pas de déformation du réel, ni d’images surgies du subconscient, mais d’un regard complexe sur souvenirs qui sont rapprochés ou éloignés par le travail de la mémoire personnelle. Les deux vies coexistent sur ses œuvres : une vie dure et sévère en Union Soviétique et une vie légère, mais qui n’est pas tout-à-fait devenue la sienne, en France. L’écho de ce qui fut vécu à Lianozovo est présent sur les toiles peintes en France. Les mêmes personnages et les mêmes objets ont déménagé et remplissent désormais les paysages français. La palette vive, originaire de la France, intervient à son tour dans un paysage soviétique. Ces couleurs nouvelles, le violet et le jaune flamboyant, tel un éclair du soleil couchant, dessinent les contours d’une forêt russe ou de sa baraque, ou les fenêtres des immeubles parisiens… Les deux lignes d’une vie vécue sont réunies par l’artiste et constituent désormais un sujet uni, une seule trajectoire « Lianozovo-Paris ».
Par Elizaveta Shagina